On connait bien Saint-Mathieu-du-Parc pour les batailles médiévales du Duché de Bicolline, pour ses nombreux lacs et forêts qui attirent les touristes, ou encore pour la vigueur de son mouvement pour la protection de la nature. Pourtant, depuis quelques années, c’est dans les plus hautes sphères de la gastronomie québécoise qu’on entend de plus en plus le nom de la municipalité circuler.
En effet, il semble qu’un vent de renouveau souffle sur le village de quelque 1500 âmes et celui-ci se manifeste par une pléiade de petits projets culturels et culinaires indépendants, qui, mis bout à bout, donnent l’impression qu’il se brasse quelque chose d’unique. Comme si la communauté était en ébullition.
Récemment, les Lauriers de la gastronomie québécoise annonçaient les finalistes pour la tenue de son gala annuel récompensant l’excellence dans l’art de la table. Des représentants de Saint-Mathieu-du-Parc sont en lice dans pas moins de cinq catégories.
À titre comparatif, l’ensemble du territoire de la Mauricie ne compte qu’une seule nomination supplémentaire, soit celle des Délices d’automne de Trois-Rivières, finalistes dans la catégorie Événement gastronomique de l’année.
Le Nouvelliste est allé à la rencontre de plusieurs Mathieusaintois dans le but de connaitre la recette du succès de ce qui peut désormais être qualifié de capitale gastronomique de la Mauricie. À vos fourchettes!
Le phénomène Samy Benabed
Si la restauration haut de gamme de Saint-Mathieu-du-Parc avait un nom, ce serait très certainement celui de Samy Benabed. Peu importe l’intervenant questionné à ce propos, le nom de ce jeune prodige revient constamment.
En 2023, avec trois partenaires – Florent Borrel, Nicholas Trottier-Lacourse et Étienne Prud’homme – celui-ci a racheté l’Auberge Saint-Mathieu-du-Lac pour transformer le lieu en un restaurant gastronomique. L’idée se tramait depuis son arrivée dans le décor, à l’été 2020.
«Le centre de gravité du projet, c’est la table, c’est l’art de la table, c’est de bien manger, bien boire. À l’inverse, avant, la table, c’était un service pour les chambreurs. Maintenant, c’est un peu l’inverse. Les chambres deviennent un service pour les gens qui s’attablent», explique le chef qui n’en est qu’au début de sa trentaine.
À peine deux ans plus tard, force est de constater que le jeu en a valu la chandelle puisque le quatuor semble particulièrement bien implanté dans le village. En plus d’avoir remporté le titre de Révélation de l’année lors des Lauriers 2023, Samy Benabed est en lice cette année dans la catégorie Chef.fe de l’année tandis que l’Auberge l’est également comme Restaurant de l’année.
«Je trouve que c’est une belle fenêtre sur la gastronomie, mais surtout, en particulier sur les régions. Les régions commencent pas mal plus à se démarquer que les premières années des Lauriers.»
— Samy Benabed, chef de l’Auberge Saint-Mathieu
La proximité avec les producteurs et la forêt ne serait d’ailleurs pas étrangère à l’attrait des milieux ruraux du monde culinaire.
Dans le cas de l’Auberge, la pépinière Prendre Racine de Charette et la Coop la Charrette de Saint-Élie-de-Caxton constituent les principaux fournisseurs d’aliments frais. «On travaille main dans la main. On fait des sélections de semences, on planifie ce qui va être planté, etc.», relate-t-il.
Une proximité beaucoup plus difficile à avoir dans les grands centres, du propre aveu de celui qui a aussi fait ses classes dans les restaurants montréalais. La diaspora en provenance de la métropole, de plus en plus nombreuse depuis la pandémie de COVID-19, pourrait également avoir joué un rôle dans le mouvement de renouveau expérimenté dans la municipalité.
«Il y a beaucoup de monde qui revient en région, souligne Samy Benabed. C’est un dynamisme de tout le monde ensemble. C’est le fun d’avoir une belle relève qui croit à la régionalité au point d’installer leurs projets ici.»
«L’important, c’est de garder cet esprit de communauté, de rassembler les projets communs et de ramer dans le même sens. C’est un dynamisme qui se crée tout le monde ensemble, affirme-t-il. Ça devient un pôle d’attraction et c’est la communauté qui en bénéficie.»
On n’est pas sorti de l’Auberge
Il faut dire que les éloges ne s’arrêtent pas là pour l’Auberge Saint-Mathieu, puisque deux autres artisans de l’endroit ont en outre reçu des nominations aux Lauriers: Éric Champagne dans la catégorie Pâtissier.e de l’année et Jana Larose comme Révélation de l’année.
Natif de Val-David, puis passé lui aussi par Montréal, Éric Champagne se montre reconnaissant de représenter «la campagne» dans la compétition. «Pour moi, c’est important d’être les deux pieds dans le bois», précise-t-il en riant.
«J’utilise plus le garde-manger forestier, peu importe les saisons», rapporte-t-il.
Il faut dire que le spécialiste des desserts s’inspire énormément de la forêt boréale dans ses créations, une ressource plutôt abondante dans le secteur qu’il n’hésite pas à exploiter.
«Je n’ai jamais vu autant de champignons. C’est riche, la Mauricie, c’est très riche côté nature. On a plein d’affaires que les gens passent à côté et ne se rendent pas compte.»
— Éric Champagne, pâtissier à l’Auberge Saint-Mathieu
Que ce soit la réputation de Samy Benabed, les touristes qui viennent profiter des chalets en location, ou encore ceux qui s’aventurent dans le parc national de la Mauricie, plusieurs raisons poussent les clients à visiter l’Auberge, selon lui.
Cependant, la clé du succès pourrait aussi être l’équipe qui œuvre au restaurant gastronomique. «On est une équipe très colorée, je te dirais. Ça nous démarque pas mal de ce qui se passe ailleurs, même à Montréal ou à Québec», signale-t-il.
«On est beaucoup dans la cuisine d’émotions et de nostalgie, donc il y a toujours le petit côté réconfortant, vibe grand-maman, mais de luxe.»
«J’ai commencé la restauration à 17 ans environ, mais ça va faire cinq ans que je suis à l’Auberge. Samy et moi, on a un peu ouvert l’Auberge ensemble, on était juste les deux en cuisine», indique la cheffe âgée de 24 ans qui a monté les échelons tranquillement jusqu’au jour où les propriétaires ont eu l’idée d’inaugurer le Comptoir et de lui en confier la responsabilité, en 2023.
Qu’est-ce qui définit la buvette par rapport au restaurant principal? «Je dirais que c’est la qualité pour le prix. J’utilise les mêmes produits que Samy, des produits d’exception, beaucoup de terroir, mais de façon à les réutiliser, donc de créer un écosystème où il n’y a pas de pertes», expose-t-elle.
«Ça crée l’espèce de buvette de village qui est super rassembleuse», ajoute-t-elle, en mentionnant la possibilité pour les visiteurs de venir passer une soirée au restaurant de l’auberge pour une expérience gastronomique, dormir sur place, puis de profiter de la buvette le lendemain pour se sustenter.
«À Saint-Mathieu, c’est un peu comme si le temps s’arrêtait et on prend le temps de bien faire les choses. On est moins stressés. Les gens qui viennent nous visiter sont moins stressés, juste par rapport à la nature, par rapport à l’environnement. Ça crée vraiment une belle atmosphère, un peu de vacances, même quand on travaille.»
— Jana Larose, cheffe du Comptoir de l’Auberge
«Quand tu es aussi proche d’un lac, aussi bien entouré d’autant de belles personnes autour de toi et tout le monde veut prendre soin des autres, c’est vraiment l’esprit de village. Je pense que la magie, elle vient pas mal de là.»
Et à l’extérieur de l’Auberge?
Contrairement à bien des villages de semblable taille, l’Auberge n’est pas le seul restaurant de Saint-Mathieu-du-Parc. Le chef Franck Chaumanet, connu pour son travail à la microbrasserie le Trou du diable de Shawinigan, y a ouvert le bistro Pin Bleu en fin de saison l’été dernier, par exemple.
Également installées sur place depuis plusieurs années, Mélody Drapeau Jacob et sa famille gèrent un complexe incluant une auberge de jeunesse, l’Auberge Mandala, en plus d’un Café Bistro, un bar ouvert seulement l’hiver, une pizzéria et le fameux Snack Bar Chez Mélo. Ce dernier est aussi finaliste des Lauriers de la gastronomie dans la nouvelle catégorie Cantine de l’année.
Fait cocasse, Mme Drapeau Jacob est entrée en contact avec les Lauriers de la gastronomie l’an dernier en se déplaçant pour encourager Samy Benabed qui y était finaliste, preuve s’il en est une que le milieu culinaire mathieusaintois est tissé serré.
«C’est sûr que ça va être une énorme visibilité et de gagner, pour nous, ce serait vraiment le plus grand des honneurs parce que ça honore la gastronomie au Québec, mais on n’a jamais pensé qu’on pouvait entrer dans cette catégorie-là puisqu’on est un casse-croûte.»
— Mélody Drapeau Jacob, propriétaire du Snack Bar Chez Mélo
Connu entre autres pour ses «Mardis Tacos», l’établissement de restauration rapide peut devenir particulièrement achalandé en période estivale. «Ça a toujours été notre but d’être différent, d’être original et d’offrir une expérience aux gens. On voulait sortir du lot et ça a fonctionné cette année», révèle la propriétaire.
Parallèlement à l’ébullition de la scène gastronomique du village, un autre endroit contribuant à la vitalité culturelle de Saint-Mathieu-du-Parc a vu le jour en 2019, la petite Place des arts.
«La bouffe de Samy, tu pourrais l’avoir à New York, mais elle est à Saint-Mathieu-du-Parc. On a la même sensibilité avec les artistes qu’on présente. Il ne faut pas que parce qu’on est dans le bois loin des grands centres qu’il faut que la qualité soit plus basse», explique Yves St-Pierre, adjoint à la direction des lieux.
«On essaie de soutenir des artistes de la région qui ont des pratiques de qualité, mais aussi de faire venir des gens de l’extérieur pour amener de la qualité ici, parce que les gens qui habitent à la campagne ont le droit aussi à ça, pas nécessairement juste à du deuxième ordre et de la poutine.»
— Yves St-Pierre, adjoint à la direction de la petite Place des arts
«C’est comme si on veut rester nous-mêmes, rural, forestier, mais mettre la couche haut de gamme par-dessus, sans que ça devienne pompeux. Je pense que l’Auberge, c’est la même chose», poursuit-il. «Parce que la vie est certainement plus simple à la campagne.»
Installé dans le secteur depuis plus d’une vingtaine d’années, il a pu voir l’évolution dans la vitalité de la municipalité. «À un moment donné, il n’y avait plus rien, se remémore-t-il. J’ai l’impression aussi que le fait que c’était le désert, ça a permis un renouveau et de se dire: “bon, il n’existe rien, on va l’inventer!“»
Que peut-on souhaiter pour le futur de Saint-Mathieu-du-Parc? «Si cette offre-là était disponible à l’année, ça changerait tout pour les gens du coin parce qu’un moment donné, il y a un vide. L’été, on a à peu près tout ce qu’il faut. Pour ça, il faut qu’il y ait du monde qui vienne en hiver, donc il faut qu’il y ait une offre ou un attrait hivernal», conclut M. St-Pierre.
Le gala des Lauriers de la gastronomie québécoise se tiendra le 26 mai prochain à Montréal. De son côté, l’Auberge Saint-Mathieu ouvrira ses portes à partir du 1er mai, tandis que le Snack Bar Chez Mélo, lui, débutera sa saison le 16 mai. Bon appétit!